Les adaptations de bandes dessinées ou de graphic novels au cinéma ne trouvent pas en moi un public conquis d’avance. J’ai failli dormir aux deux séances de Spider Man, j’ai été fort critique face à Constantine et The League of Extraordinary Gentlemen, et je ne me suis tout simplement pas dérangé pour Fantastic Four et autres hulkeries. V for Vendetta a cependant fait vibrer mes cordes sensibles, et avec quelle force!
Au générique, le nom des frères Wachowski, surtout comme scénaristes, n’était pas à mes yeux une garantie de qualité, après le gâchis confus des deux derniers Matrix (au point de vue scénario, s’entend). Quant au réalisateur, James McTeigue, il en était au premier film à porter son nom en tête d’affiche (l’Australien avait servi d’assistant aux frères Wachowski – certes une bonne école pour ce qui est des films d’action). Tout en étant un film d’action, V for Vendetta n’est cependant pas que ça. Presque entièrement nocturne et souterrain, il parvient à rendre intense et poignante l’histoire d’un homme qu’on ne verra jamais autrement que masqué (le polyvalent Hugo Weaving, qui a dû apprécier échapper aux séances de maquillage…). Son personnage, en effet, a jadis été défiguré lors d’un incendie, à la faveur duquel il s’est échappé d’une prison-laboratoire où des cobayes humains servaient à des recherches sur un virus et son antidote. Ces recherches s’avéreront avoir été au centre d’un complot de l’extrême droite pour prendre et garder le pouvoir, dans une Angleterre fasciste post-thatcherienne. C’est contre ce gouvernement, et son chancelier Sutler (John Hurt, très 1984), que « V » cherche vengeance, se réclamant du personnage historique de Guy Fawkes pour appeler à l’insurrection populaire et au renversement de l’état oppresseur. « V » recueillera sous son aile une jeune employée de la télévision, Evey, dont la famille figure au nombre des victimes de la dictature. D’abord réticente, Evey (Natalie Portman) subira un bouleversant baptême du feu (ou du fer), se fera raser le coco et finira alliée de « V ». Quiconque n’aurait vu la jeune madame Portman que dans le rôle de la princesse Amygdale des récents StarWars, découvrira avec ravissement qu’elle est excellente actrice, ce que savaient déjà les cinéphiles qui l’avaient appréciée dans Closer.
Duplicité du pouvoir, hypocrisie de l’extrême droite, intérêts occultes, exploitation de la peur, mensonge érigé en base de gouvernement, tout est là pour évoquer les États-Unis de Bush et compagnie, même si la bande dessinée d’origine d’Alan Moore s’en prenait plutôt au régime Thatcher. À travers cette oppression (et le film est oppressant), l’enquête d’un inspecteur intègre (incarné par Stephen Rea) et la résistance frivole mais brave d’un animateur de la télé (Stephen Fry, de Wilde mémoire) laissent passer la lueur d’un peu d’espoir dans cet univers concentrationnaire où toute dissidence, toute différence, tout raffinement culturel, sont voués à l’extermination.